La corde sensible [PV Ino]

Une gigantesque branche avait chu au matin de l'un des arbres du parc. Paul, vêtu légèrement malgré le froid, s'apprêtait à l'ôter. Une remorque reposait à proximité. Son idée était simple : avec une corde solide, le gardien avait formé un treuil à l'aide duquel il comptait bien soulever la griffe de bois enfoncée dans le sol.

Son pantalon de toile kaki se tendait sous l'effort de ses deux jambes plantées dans le sol. Le dos plié sous sa chemise de bucheron, il gonflait ses muscles, souriant d'avoir pour une fois autre chose à faire que nettoyer des salles souillées par les étudiants.

Tout à son ouvrage, Paul n'avait pas remarqué l'approche de l'une des étudiantes du pensionnat...

Ino était emmitouflée dans un chaud manteau et portait des bas épais pour ne pas mourir de froid. Elle se baladait dans le parc parce qu'elle n'avait rien de mieux à faire et commençait à s'ennuyer sévèrement. Néanmoins, au détour d'un bâtiment, elle remarqua que quelque chose d'anormal se passait. Une remorque était dans le parc, près d'un arbre et une grosse branche gisait au sol. Elle s'approcha et remarqua en plus le gardien, un type plutôt barraqué et attirant mais aussi quelque part effrayant, qui s'efforçait d'attacher un treuil autour de la branche, sans doute pour la mettre dans la remorque. Ino remarqua qu'il était vêtu assez légèrement et elle eut une seconde d'admiration pour l'homme. Curieusement, elle ne s'en alla pas, elle resta sur place pour voir le déroulement de l'opération.

Alors que la branche se trouvait pratiquement à la hauteur voulue, la corde se rompit brutalement. Dans un bruit mat, la serre retomba au sol.

"Putain de merde ! Saloperie de corde ! Bouffée par l'humidité. J'ai plus qu'à recomm..."

Paul se figea. Il venait d’apercevoir l'une des pensionnaires, qui le regardait fixement. Plutôt couverte, celle là. Peut être timide, par dessus la marché, car elle n'avait pas prononcé un mot pour signaler sa présence. Assez mignonne, pourtant. Elle aurait pu faire comme toutes les autres petites traînées, et tester ses charmes sur un homme plus âgé. Mais au fond, séduction de minette ou pas, il s'en foutait éperdument. Ce n'était pas comme si les envies de la petite comptaient réellement.

On va se détendre un peu... songea t-il.

"Ma petite mademoiselle, ce n'est pas un temps pour sortir dans le parc ! Sauf si vous voulez m'aider un peu."

Il prit son air le plus engageant, ce qui consistait à desserrer un instant sa mâchoire.

"Il me faut quelqu'un pour placer une cale sous la branche, avant de pouvoir la soulever de nouveau. Quelqu'un de mince, qui pourra passer en dessous, parce que sans corde, je vais devoir la lever à la main. Et ça, même moi je ne peux pas le faire très haut."

Bien entendu, toute cette histoire de cale était une fumisterie. La corde avait cassé à son extrémité : il n'aurait eu aucun mal à recommencer l'opération interrompue en fabriquant un nouveau treuil. Mais son but était tout autre. Au centre de la serre de bois saillait une pierre imposante, au sommet arrondi. Sa hauteur devait correspondre à l'espace entre le sol et le ventre de la jeune femme une fois à quatre pattes. Or, par un hasard parfait, la branche formait au dessus de ce roc un demi cercle qui devait tout juste laisser à la petite la place de sa faufiler à quatre pattes en dessous s'il la soulevait. Mais s'il reposait la branche un peu trop tôt, elle se retrouverait immobilisée entre la pierre et le bois. Le bassin à l'extérieur, offerte contre son gré.

"Vous pouvez vous faufiler à quatre pattes jusqu'ici -il désigna un emplacement situé juste derrière le rocher- et poser la cale ? Bien droite, surtout !"

Il se baissa pour faire descendre son centre de gravité, attrapa de ses mains immenses la branche, et, dans un effort brusque, la souleva. Une veine battait à sa tempe tandis que le sang affluait à son visage, le faisant rougeoyer dans la clarté de l'hiver.